L’incidence du SBS est sous évaluée de façon certaine. Les chiffres font surtout état des cas les plus sévères. Le diagnostic peut ne pas être posé. L’auteur invoque le plus souvent une chute ou une manœuvre de réanimation. Le secouement touche le plus souvent le garçon. La prématurité, les grossesses multiples sont des facteurs de risque. Le pleur est un facteur déclenchant mais la tolérance de l’adulte aux pleurs est très variée. L’auteur est le plus souvent un adulte très proche de l’enfant (parents, personne en charge de l’enfant, concubins). Tous les milieux sont concernés. Les parents peuvent avoir une méconnaissance des comportements et besoins normaux de leur enfant.
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Incidence du SBS
« L’incidence du SBS varie entre 15 et 30/100 000 enfants de moins de 1 an1,2.Si l’on rapporte ces résultats au chiffre des naissances en France, on peut estimer que 120 à 240 nourrissons pourraient être concernés chaque année par cette maltraitance. Mais il n’existe pas de données épidémiologiques françaises ; Mireau avance le nombre de 180 à 200 cas par an3.Les chiffres publiés sous-estiment de façon certaine la réalité. En effet :
- ils font surtout état des cas les plus sévères, qui eux-mêmes ne sont probablement pas tous répertoriés ;
- l’absence d’autopsie systématique des nourrissons décédés d’une mort inattendue empêche de faire certains diagnostics ;
- il est souvent difficile de différencier TCI et TC accidentels.*
* Deux articles plaident pour une sous-évaluation majeure de la maltraitance au profit du mécanisme de chute volontiers allégué par les adultes.
Chadwick a étudié le taux de mortalité chez 283 enfants admis consécutivement dans un même hôpital répartis en 3 groupes selon la hauteur alléguée de la chute4. Sept enfants sur les 100 tombés d’une hauteur de moins d’un mètre sont décédés, mais aucun des 65 tombés de 1 à 3 mètres, et un seul des 118 tombés de plus de 3 mètres. Ce résultat illogique ne peut s’expliquer que par une sous estimation des cas de maltraitance.
Williams dans une étude prospective sur 398 chutes d’enfants a comparé deux populations d’enfants de moins de 3 ans selon que les témoins étaient des proches (53 enfants) ou des témoins neutres ou multiples (106 enfants)5. Il a observé 3,8 % de décès et 34 % de TC graves lorsque les témoins étaient des proches contre 0 % de mortalité (sauf un enfant tombé de 21 mètres) et 0 % de TC graves lorsque les témoins étaient neutres ou multiples. Cette différence entre les 2 groupes ne peut s’expliquer que par une sous-estimation des cas de maltraitance dus aux proches.
La méconnaissance du diagnostic fait courir un risque de récidive de la maltraitance ; des publications font état de ce risque6,7; une étude rétrospective récente8 portant sur 112 enfants identifie une répétition du secouement (de 2 à 30 fois, 10 fois en moyenne) dans 55 % des cas. »
Extrait du rapport d’orientation de la commission d’audition. -
Les facteurs de risque
Facteurs de risque de traumatisme crânien infligé
« Il est important de rappeler qu’un facteur de risque est une variable statistiquement associée à un phénomène, une pathologie ou un syndrome, sans pour autant en être la cause.
Facteurs de risque liés à l’enfant
Sex ratio : prédominance des garçons (sex ratio G/F entre 1,3 et 2,6). Prématurité : taux de prématurité plus élevé que dans la population générale : 11 à 21 % (11 % dans la série de Mireau9) versus 7 à 8 % dans la population générale. Grossesses multiples : elles seraient plus fréquentes (gémellité dans 5 % des cas de Mireau) que dans la population générale (1,5 % de grossesses multiples).
Les pleurs ne peuvent être considérés comme un facteur de risque à proprement parler, mais ils peuvent être un élément déclenchant de comportement maltraitant envers les nourrissons10, sachant que la tolérance des parents aux pleurs de l’enfant est très variable : une consultation pour pleurs d’un nourrisson ne devrait pas avoir pour seul but de trouver la cause des pleurs, mais également d’évaluer le ressenti et les réactions des parents à ces pleurs.Facteurs de risque liés à l’auteur des faits
Dans les séries où l’auteur des faits a été identifié, qu’il y ait eu ou non aveu de sa part, cet auteur est dans la majorité des cas (70 %) un homme, le père plus souvent que le compagnon de la mère.
Les adultes non apparentés constituent également une catégorie significative d’auteurs potentiels de maltraitance : dans la série de 151 cas de TCI examinés par l’équipe de Starling11, les boyfriends de la mère sont en cause dans 20,5 % des cas, les baby-sitters de sexe féminin dans 17,3 % des cas.Facteurs de risque liés aux parents
En ce qui concerne le contexte socio-économique, les études sont très contradictoires, tous les milieux peuvent être concernés ; les facteurs de vulnérabilité évoqués restent à documenter (premier enfant, nouvelle grossesse, reprise du travail, méconnaissance des besoins et des comportements normaux de l’enfant, isolement social et familial, histoire de violences familiales, troubles psychiatriques passés ou présents, abus de drogue illicite et d’alcool, etc.). Mireau en 2005 note que les parents ont une importante méconnaissance des besoins et comportements normaux de l’enfant. Le jeune âge des parents est fréquemment souligné par les auteurs et signalé comme un facteur de risque potentiel12.
Une étude prospective réalisée de janvier 1998 à septembre 200613 détaille le contexte socio-économique de 25 cas de TC non accidentels observés en 10 ans dans une région écossaise : 76 % des cas provenaient des quartiers les plus défavorisés du point de vue de l’éducation, de l’instruction et des habiletés sociales, 72 % de ceux où la criminalité était la plus élevée, 68 % de ceux où la santé était la moins bonne, 60 % de ceux où le revenu était le plus bas, 52 % de ceux où la qualité des habitations était la plus mauvaise, 48 % de ceux où le chômage était le plus important.
Ces résultats sont battus en brèche pas des études antérieures : 2 études de 2000 portant sur la même cohorte d’enfants notent, l’une14 que la majorité des parents a une situation professionnelle stable (81 % des mères sont sur le marché du travail), l’autre15 qu’une grande partie des parents a un niveau d’études secondaire ou supérieur. Écarter le diagnostic de TCI en raison d’un contexte sociofamilial apparemment favorable peut en tout cas être à l’origine de diagnostics « manqués »16.
Cependant, d’une façon générale, les difficultés liées au contexte de vie des personnes s’occupant de l’enfant doivent attirer l’attention du professionnel qui en a connaissance.
La relation du SBS avec un facteur ethnique a été étudiée. Fortin17 fait la synthèse des articles et conclut que l’origine ethnique ne constitue pas un facteur significativement plus associé au SBS qu’au TC accidentel. Les données suggèrent plutôt que la variable « origine ethnique » constitue un facteur de risque lié à d’autres marqueurs sociaux qui augmentent chez l’enfant le risque de blessures. »
Extrait du rapport d’orientation de la commission d’audition. -
En résumé
« En résumé18, les données disponibles à ce jour, bien que parcellaires et parfois contradictoires, suggèrent que les enfants de sexe masculin, premiers-nés, âgés de moins de 6 mois, nés prématurément d’une grossesse compliquée ou multiple, vivant avec des parents ayant une histoire présente ou passée d’abus de substances psychoactives (alcool, drogues) ou de violence familiale et/ou ayant une méconnaissance des stratégies de gestion de la relation avec leur nourrisson, sont plus à risque d’être victimes du SBS. Cet acte de violence peut bien sûr survenir sans qu’il y ait de tels facteurs de risque socio-économiques et culturels. De plus, s’il peut être juste de penser que l’enfant victime de SBS appartient plus souvent au groupe à risque ci-dessus, il est faux de croire que la majorité des enfants présentant ces caractéristiques sont victimes de cette forme de maltraitance. »
Extrait du rapport d’orientation de la commission d’audition.
Bibliographie
1Hobbs C, Childs AM, Wynne J, Livingston J, Seal A. Subdural haematoma and effusion in infancy: an epidemiological study. Arch Dis Child 2005;90(9):952-5.
2Keenan HT, Runyan DK, Marshall SW, Nocera MA, Merten DF. A population-based
comparison of clinical and outcome characteristics of young children with serious inflicted and noninflicted traumatic brain injury. Pediatrics 2004;114(3):633-9.
3Mireau E. Hématome sous-dural du nourrisson et maltraitance. À propos d’une série de 404 cas. Thèse de médecine. 2005. Université Paris V.
4Chadwick, D.L., Chin S Salerno et al. Deaths from fall in children: How far is fatal? The journal of trauma 1991 ; 31 :1353-1355.
5Williams RA. Injuries in infants and small children resulting from witnessed and corroborated free falls. J Trauma 1991 ; 31 : 1350-2.
6Jenny C, Hymel KP, Ritzen A, Reinert SE, Hay TC. Analysis of missed cases of abusive head trauma. JAMA 1999;281(7):621-6.
7Oral R, Yagmur F, Nashelsky M, Turkmen M, Kirby P. Fatal abusive head trauma cases:
consequence of medical staff missing milder forms of physical abuse. Pediatr Emerg Care
2008;24(12):816-21.
8Adamsbaum C, Grabar S, Mejean N, Rey-Salmon C. Abusive head trauma: judicial admissions highlight violent and repetitive shaking. Pediatrics 2010;126:546-55.
9Mireau E. Hématome sous-dural du nourrisson et maltraitance. À propos d’une série de 404 cas. Thèse de médecine. 2005. Université Paris V.
10Reijneveld SA, van der Wal MF, Brugman E, Sing RA, Verloove-Vanhorick SP. Infant crying and abuse. Lancet 2004;364(9442):1340-2.
11Starling SP, Patel S, Burke BL, Sirotnak AP, Stronks S, Rosquist P. Analysis of perpetrator admissions to inflicted traumatic brain injury in children. Arch Pediatr Adolesc Med 2004;158(5):454-8.
12Concordet S, Bonnaure A. Caractéristiques psycho-sociales de l’enfant et de sa famille. Dans D Renier (Éd), Le bébé secoué – Traumatisme crânien du nourrisson (pp. 59-73).Paris : Karthala 2000.
13Minns RA, Jones PA, Mok JY-Q. Incidence and demography of non-accidental head injury in southeast Scotland from a national database. Am J Prev Med 2008;34, S126-S33.]
14Concordet S, Bonnaure A. Caractéristiques psycho-sociales de l’enfant et de sa famille. Dans D Renier (Éd), Le bébé secoué – Traumatisme crânien du nourrisson (pp. 59-73).Paris : Karthala 2000.
15Goldberg A, Maurey-Forguy C. La prise en charge sociale. Dans D Renier (Éd), Le bébé secoué – Traumatisme crânien du nourrisson (pp. 59-73).Paris : Karthala. 2000.
16Jenny C, Hymel KP, Ritzen A, Reinert SE, Hay TC. Analysis of missed cases of abusive head trauma. JAMA 1999;281(7):621-6.
17Fortin G. Texte d’expert.
18Fortin G. Texte d’expert.